Frédéric de Saint-Sernin, Directeur Général délégué d’ACTED

Frédéric de Saint-Sernin, Directeur Général délégué d’ACTED

Frédéric de Saint-Sernin réfléchit avec Xavier Cazemajour sur les ressorts de son propre engagement à travers ses multiples vies de chef de produit, ministre ou président de club de foot.

Frédéric de Saint-Sernin nous a reçu chez ACTED* (Agence d’Aide à la Coopération Technique Et au Développement). Il a travaillé dans de nombreuses organisations :  Un «lessivier » (Saint-Marc-Benckiser), des collectivités locales (Mairie de Grenoble, conseil régional de l’île de France, député de la Dordogne), un groupe de luxe (Directeur des relations institutionnelles de PPR-Kering), un parti politique et un gouvernement sous Jacques Chirac (Secrétaire d’État à l’Aménagement du territoire et secrétaire général adjoint du RPR), un club sportif (Président du Stade Rennais Football Club) et, dernièrement, la deuxième ONG française (Directeur général délégué d’ACTED).

Xavier Cazemajour : J’accompagne depuis une quinzaine d’année des entreprises sur la qualité de vie au travail et l’engagement.  J’ai constaté qu’il existait, quelques soient les contextes, quatre grands facteurs sur lequel pouvaient agir les dirigeants pour développer l’engagement de leurs équipes : Le sens du travail, la reconnaissance, la qualité de l’environnement de travail et enfin l’intensité du travail. Pourriez-vous, à la lumière de votre expérience si diverse, dégager un élément qui a été déterminant dans votre engagement ?

Frédéric de Saint-Sernin : À l’automne 91, j’avais 33 ans. Il fallait démarrer les campagnes cantonales et législatives. J’étais sur la circonscription du Nord de la Dordogne. J’arrivais avec ma particule avec un apriori défavorable sur des terres très engagées politiquement à gauche. Je suis quelqu’un de fondamentalement timide et ce n’était pas mon truc. Mon frère s’était dit que j’allais me faire massacrer. En effet, le début de mon implantation a été terrible !

Quand il a vu que j’étais au fond du trou, il m’a offert un stage de cinq jours de « pensée positive » qui m’a permis de m’accrocher. Ça a duré cinq jours et cinq nuits, un travail sur des ressorts quasi sectaires. Au bout de cinq jours tu es vidé, tu n’as plus aucune défense, tu pleures, tu n’as plus rien. Le phénomène de groupe permet à chacun de plonger au fond de lui-même, d’avoir des sensations inconnues, et de se régénérer. Les 39 autres participants que je n’avais jamais vus auparavant, m’ont aidé comme personne à mieux me connaître moi-même et à prendre les bonnes décisions pour moi. Incroyable !

La logique de ce stage de pensée positive, c’est de comprendre que ta vie c’est toi qui la construis.  « Je suis malheureux », « je n’ai pas eu de chance », ça n’existe pas. Ce qui a marché c’est grâce à toi, ce qui n’a pas marché, c’est parce que tu n’as pas fait ce qu’il fallait pour que ça marche. Tu te mets en branle et tu te fixes toi-même tes nouveaux objectifs, ce que tu veux faire et comment tu vas y arriver. Ça m’a donné une énorme énergie. Ça a changé ma vie !

XC: La force de votre propre engagement a donc été, à un moment donné, liée à votre faculté à vous sentir responsable de votre histoire. Se trouver des excuses freine la possibilité de vraiment s’engager. Dans les diverses organisations où vous avez travaillé quelles ont été celles où vous avez ressenti le plus d’engagement ?

FdeS-S :Les candidats pour ACTED  aiment l’idée de bosser pour une ONG parce que trouver du sens est prépondérant dans leur projet de vie. Mais je pense que, même dans les lessives, on peut trouver du sens. C’est de l’industrie chimique, tu as des gens qui ne te ressemblent pas vraiment mais tu vois qu’ils bossent à l’usine, tu as un petit bureau, tu es à dix minutes du RER de Nanterre, c’est sinistre mais tu fais le boulot parce que dans trois mois tu te maries et qu’il faut avoir un salaire. Tu ne comprends pas vraiment pourquoi il y a des gens qui sont passionnés par la lessive et puis ensuite tu y trouves des choses intéressantes. Un vrai territoire de marque forestier et  bucolique avec une promesse produit autour du pin des Landes. L’aspect familial de l’entreprise renforçait encore ce sentiment d’appartenance à un terroir.

XC: L’engagement serait d’abord lié à une disposition à trouver soi-même le sens de ce que l’on fait, de saisir les opportunités et ne dépendant pas de ce que vont faire les dirigeants pour créer les conditions de l’engagement.

FdeS-S :Ce que j’ai toujours trouvé très intéressant dans tous les métiers que j’ai exercés, c’est d’avoir une capacité d’influence. Quand tu es chef de produit de la serpillière Villeda chez Benckiser, tu décides de ne plus les faire rouges mais vertes et on le fait !  Ta capacité d’influence vient de tes études de marché et de ta stratégie. Moi, qui ai mis six mois avant de prendre la carte du RPR quand j’y ai eu un bureau, je me suis retrouvé extrêmement influent dans le parti le plus hiérarchisé et autoritaire de France avec le parti communiste, de l’époque c’est quelque chose qui m’a assez fasciné. Il faut aussi saisir les opportunités. Ta personnalité peut plaire à certains décideurs et à ce moment-là ils te font confiance. Mes différentes expériences dans le privé ou le public ont forgé ma personnalité par  de multiples sédimentations et c’est ça ma richesse. C’est ça au bout du bout qui intéresse le dirigeant, c’est cette personnalité construite qui s’est imprégnée qui fait que quelqu’un va te faire confiance dans des postes de lourdes responsabilités, sans pourtant avoir les compétences adéquates au départ.

XC: L’engagement se renforcerait donc grâce au pouvoir d’action et à une capacité d’influence acquise par la confiance que l’on inspire. Vous avez travaillé avec des personnalités charismatiques, est-ce que cela a aussi joué ?

FdeS-S :Lors de la première campagne de Chirac en 88, je n’étais pas du tout fier de travailler pour lui. Je suis issu d’une famille anti gaulliste, je n’ai jamais voté pour lui avant 88. Mais j’ai découvert quelque chose qui m’a rendu fier, une personnalité que je trouvais incroyablement empathique, généreuse et une connaissance totale du pays et des gens. Les chefs d’État que ce soit Sarkozy, Hollande ou Macron bossent H24, sept jours sur sept. On ne se rend pas compte de ce qu’est la tâche présidentielle, c’est un engagement total. C’est ça qui m’a donné l’énergie de devenir numéro trois du RPR, moi qui était antérieurement anti gaulliste.

Pareil pour Juppé, vu de loin je ne l’aimais pas. Il était à l’opposé de mes idéaux de jeunesse. J’ai fait partie d’un mouvement extrémiste qui a été dissous en conseil des ministres, donc cette république ce n’était pas mon truc. Et puis j’ai adoré le type. Il t’apprend à travailler. Il m’a fait découvrir l’intérêt d’ouvrir les « écoutilles » pour voir les opportunités, s’enrichir de ce qu’est l’autre, de son expérience, son identité. J’ai trouvé ça tout à fait passionnant. Ça aurait été difficile pour moi d’être fonctionnaire, mais j’ai bossé avec eux et je les ai aimés parce que c’était des gens qui trouvaient de l’intérêt dans leur boulot, dans leur structure, dans leur hiérarchie. Globalement ce que je retire à bientôt 61 ans, c’est que les gens avec qui j’ai travaillé et pas seulement Chirac ou Juppé, c’était aussi des gens qui étaient passionnés, eux-mêmes vraiment dans l’engagement.

XC: Votre engagement est arrivé dans la plupart de vos expériences que dans un deuxième temps. Il faudrait donc prendre des risques et partir dans l’inconnu avant de vivre des expériences passionnantes ?

FdeS-S :Mon père me disait toujours qu’il ne fallait pas se mettre en situation d’aller trop loin avec une femme. Quand elle propose d’aller prendre un dernier verre chez elle, si tu montes et que tu t’installes dans le canapé, évidemment que tu vas coucher avec elle, et tu trompes ta femme, donc il ne faut pas le faire. Eh bien je pense que dans la vie professionnelle, c’est l’inverse,  il faut toujours aller prendre un dernier verre !

Quand j’avais dit à Chirac « j’ai vu François Pinault, il veut que je sois président d’un club de foot », il m’avait répondu : « Frédéric, tu as été ministre, le foot ça « déroge » ». Et pourtant j’y suis allé. Et ça a été une expérience exceptionnelle. C’est la seule fois de ma vie où j’ai dirigé 170 personnes, avec des écarts de salaire dingues, le jardinier à 1 800 € et l’avant-centre à 120 000 €. Et puis il y a la relation avec les spectateurs. Je me suis retrouvé au milieu des ultras, dont beaucoup militaient dans des mouvements gauchistes. Tu vois la tête qu’ils ont fait quand ils m’ont vu arriver à la présidence du Stade Rennais ! On a fait des trucs extraordinaires avec eux. Il y a un moment où tu fabriques un plan avec des gens au-delà de la différence, qu’ils soient blancs ou noirs, jeunes ou vieux. Ils peuvent être gauchistes, toi tu ne l’es pas du tout, mais tu as la même passion du football. J’ai trouvé ça génial. En foot comme en politique, tu rends les gens heureux, ou malheureux. En politique il y a des gens qui balancent des fléchettes sur l’affiche de la campagne de leur député parce qu’ils le haïssent. À un certain niveau ton engagement est périlleux et provoque beaucoup de ressentiment. Aujourd’hui l’histoire de Macron est démente, Macron tout le monde veut le tuer. Et tout le monde a voté pour lui il y a un an et demi. Ça c’est parce qu’il n’est pas passé par certaines étapes.

Ce que je retiens de ces différentes expériences, et il y a un récent sondage de l’IFOP[1]pour SOS qui le montre,  c’est que les gens ont envie d’être bien dans leur boulot et de bien faire, ils ont envie de participer à la vie de la boîte, d’améliorer tout ça. On n’est pas dans le sacrifice, on est dans le partage d’un objectif commun. Il faut que tout le monde soit dans le même bateau, c’est le fameux premier de cordée. Moi j’y crois à cette histoire de premier de cordée.

XC:Partager la vision d’un objectif commun, ou même une passion avec un collectif est un puissant facteur d’engagement. Il y a vraiment une inquiétude aujourd’hui quant au désengagement, notamment des jeunes générations, chez l’Oréal ou Danone, par exemple.  En effet, il semble difficile de trouver de la passion au travail dans les grandes entreprises. Si on prend en compte que tout le monde n’a pas forcément votre capacité à saisir des opportunités et trouver du sens, est-ce qu’il y a des choses à faire ou à éviter pour favoriser l’engagement quand on est pilote d’une organisation.

FdeS-S :Pendant sept ans j’étais le représentant de Pinault au MEDEF et à l’AFEP. Un sujet sur lequel on passait beaucoup de temps aux petits déjeuners du MEDEF, c’était les actions gratuites. Je me disais le jour où il y aura des micros… Les gilets jaunes, ils ont raison. Quand j’ai quitté PPR, on m’a filé des actions qui étaient à 160 €, aujourd’hui elles valent 450 €, je n’ai rien fait pour. La vérité c’est que l’on peut s’enrichir en dormant. Si on considère que c’est bien alors  on ne peut pas laisser les mecs à 1 500 €. La plupart des patrons sont très bien mais certains ont été brutaux vis-à-vis des salariés, il ne faut pas les maltraiter. Je trouve que le capitalisme peut être  violent, et la rupture entre le top management et le reste peut exister.  Évidemment ce sont les patrons qui créent les emplois, je suis d’accord. Mais il faut qu’ils sachent que, s’ils créent l’emploi, ce sont les employés qui font la richesse. Il faut savoir « donner de la face » aux gens. Ça ne marche pas sinon. Le train ce n’est pas la locomotive, le train c’est tout. Le team building ne marche que si tout le monde le fait ensemble.

XC: « Donner de la face » aux gens, c’est donner de la reconnaissance inconditionnelle et respecter de ce qu’ils sont. C’est avec le sens au travail, le plus grand déclencheur d’engagement, non ?

FdeS-S :Ça fait quarante ans que je bosse et chez ACTED, c’est le bureau le plus moche que je n’ai jamais eu de ma vie. Mais Il se passe quelque chose que je n’ai pas connu ailleurs en termes d’énergie. La semaine dernière j’étais en Ouganda, les camps du sud et les camps des Congolais. Je suis parti j’avais les larmes aux yeux. C’est très dur. Les gens du sud ce sont nos frères. Chez ACTED, Chacun a son métier mais l’objectif est le même. Le sens, ici, c’est quelque chose d’évident. Quand tu signes un contrat chez ACTED; objectif : sauver des vies !!!

*ACTED (anciennement Agence d’Aide à la Coopération Technique Et au Développement) est une ONG française de solidarité internationale. Créée en 1993, l’association apolitique et non confessionnelle a pour vocation de soutenir les populations vulnérables à travers le monde et de les accompagner dans la construction d’un futur meilleur en apportant une réponse adaptée à des besoins précis. Les équipes d’ACTED interviennent dans 35 pays afin de faire face aux situations d’urgence, pour soutenir les projets de réhabilitations et accompagner les dynamiques de développement. ACTED met en œuvre plus de 450 projets par an auprès de 8 millions de bénéficiaires, pour un budget de 160 millions d’euros. L’organisation est composée de 400 personnes à l’international et 4 300 personnes en France. C’est la deuxième ONG française.

[1]https://www.lesechos.fr/economie-france/social/0600206219989-climat-social-les-salaries-satisfaits-de-leur-travail-mais-en-manque-de-reconnaissance-2224750.php